Le ministre des Affaires étrangères Luxembourgeois Xavier Bettel sous pression
Si le journal belge De Standard n’avait pas rapporté le blocage de Xavier Bettel, le mode opératoire du Luxembourg au Conseil des ministres des Affaires étrangères de l'UE du 24 février 2025 à Bruxelles face au Rwanda et au groupe terroriste M23 serait probablement balayé sous le tapis. Pour beaucoup, le conflit dans l'est de la République Démocratique du Congo semble lointain et abstrait. Pour moi, cependant, c’est bien plus qu’une simple nouvelle. Mes racines familiales dans cette région font de ce conflit une partie de ma propre histoire.
Le Luxemburger Wort a repris, le 24 février, la nouvelle du Standard dans un article intitulé «Bettel surprend la Belgique avec un blocage des sanctions contre le Rwanda». La question se pose: pourquoi le Luxembourg, en tant que seul État membre de l'UE, bloque-t-il si rigoureusement des sanctions contre le Rwanda et le groupe terroriste qu’il soutient, le M23, alors qu’un consensus avait déjà été trouvé dans un groupe de travail de l'UE et que les États-Unis avaient déjà décidé des sanctions ?
Trois jours avant le Conseil des ministres des Affaires étrangères de l'UE, le Conseil de sécurité des Nations Unies avait adopté la résolution n° 2773 du 21 février 2025, condamnant fermement le Rwanda ainsi que le groupe rebelle M23. Cette résolution exige que les zones occupées soient immédiatement quittées et que la violence contre les civils cesse. L'UE avait également, dans une déclaration du 25 janvier 2025, condamné le Rwanda et le M23 et annoncé des sanctions.
Xavier Bettel tente d’apaiser
Lors de la session parlementaire du 4 mars 2025, le ministre des Affaires étrangères Xavier Bettel a banalisé la situation. Il a insisté sur le fait que des sanctions ne pourraient être prises que si un «acte juridique» était en place et a nié que le Luxembourg avait mis son veto, affirmant que les listes détaillées n'avaient été présentées que le 3 mars.
L'argument de Xavier Bettel selon lequel la réunion du 24 février n'était qu'une «discussion politique» est hautement contestable. La résolution n° 2773 de l'ONU, adoptée à l'unanimité trois jours avant, est juridiquement contraignante et constitue donc un «acte juridique». Affirmer qu’aucune décision ne pouvait être prise à Bruxelles est dénoué de tout sens.

Le ministre des Affaires étrangères luxembourgeois contredit son propre communiqué du 24 février 2025, où il est écrit: «Des sanctions contre les responsables du groupe M23 ont été retenues. L'UE prépare de nouvelles mesures restrictives en réponse à la situation à l'est de la RDC à l'encontre du Rwanda. Xavier Bettel a suggéré d'attendre les résultats des efforts de médiation africains de cette semaine avant de les mettre en œuvre pour éviter que les parties se désengagent de ces pourparlers avant même qu'ils aient lieu.»
La réunion du 24 février à Bruxelles était une réunion formelle des ministres des Affaires étrangères de l'UE, visant à prendre des décisions stratégiques et à coordonner la politique étrangère de l'UE. Les réunions formelles dans le cadre du Conseil des affaires étrangères servent à la cohésion au sein de l'UE. Avant que des sanctions ne soient prises contre un pays ou une organisation, il faut évidemment une volonté politique et un chemin clair pour leur mise en œuvre. De quelque manière que l’on regarde les choses, cette voie a été bloquée par le Luxembourg.
Manque de tact diplomatique
La capacité du ministre des Affaires étrangères luxembourgeois à faire preuve de tact diplomatique a de nouveau été remise en question le 4 mars au Parlement. Xavier Bettel s’est embarrassé avec une remarque sur le conflit au Congo, déclarant : « Il devait y avoir une réunion à Harare vendredi [28 février 2025, NDA]. Elle n’a pas eu lieu, parce qu’un président de Namibie – je ne sais pas où – serait mort, je n'en sais rien. En tout cas, le ministre des Affaires étrangères mozambicain n’a envoyé aucune invitation. »
Comme chef de la diplomatie au Luxembourg, Xavier Bettel aurait dû savoir qu’il s’agissait de l’importante réunion de la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC) et de la Communauté d'Afrique de l'Est (CAE) à Harare, la capitale du Zimbabwe. Ces deux organisations représentent ensemble environ 750 millions de personnes et constituent, avec 22 États membres, la moitié des États africains.
La remarque de Xavier Bettel selon laquelle «un président de Namibie – je ne sais pas où – serait mort » n’est pas seulement irrespectueuse et condescendante – comme si la Namibie avait plus d’un président – mais ne correspond pas non plus aux faits. La réunion a été annulée pour des raisons organisationnelles. Le défunt auquel Xavier Bettel fait référence n’était pas le président namibien, mais le combattant pour la liberté et président fondateur de Namibie, Sam Nujoma, décédé le 8 février à l’âge de 95 ans. L’actuel président de Namibie, Nangolo Mbumba, est en bonne santé.
En outre, l’affirmation de Xavier Bettel selon laquelle le ministre des Affaires étrangères mozambicain n’aurait envoyé aucune invitation est fausse. La responsabilité de l'envoi des invitations incombe au pays hôte – dans ce cas, le Zimbabwe, et non le Mozambique.
Autant de désinformations en seulement trois phrases soulèvent la question de savoir si Xavier Bettel est la personne idéale pour le rôle de ministre des Affaires étrangères luxembourgeois. Son approche pourrait nuire au Luxembourg et entraîner des tensions diplomatiques inutiles.
Le fait est qu’aucun État africain ne s’est rangé du côté du Rwanda et du groupe terroriste M23. En ce qui concerne le conflit avec le Congo, le Rwanda est isolé internationalement – tout comme le Luxembourg.
Les réactions aux justifications désespérées de Xavier Bettel ne se sont pas fait attendre. Le 7 mars, la diaspora congolaise a manifesté devant l’ambassade luxembourgeoise à Bruxelles, condamnant fermement la position du Luxembourg sur l’invasion brutale du M23 et de la République du Rwanda en RD Congo.

Adoption unanime d'une motion à la Chambre
Le 4 mars, une motion a été adoptée à l’unanimité à la Chambre des députés, exhortant le gouvernement luxembourgeois à:
● intervenir auprès du gouvernement rwandais pour retirer ses troupes de la République démocratique du Congo;
● soutenir les sanctions européennes contre les responsables rwandais impliqués dans les atrocités au Congo;
● appuyer les efforts diplomatiques de l'UE et de l'ONU pour trouver une solution politique garantissant la souveraineté et l'intégrité territoriale de la RD Congo.
Qui est le M23 ?
Le groupe terroriste M23 (Mouvement du 23 mars) est actif dans la province orientale du Nord-Kivu, en République Démocratique du Congo, à la frontière du Rwanda. Il est soutenu par la République du Rwanda, qui fournit au M23 des armes, des munitions et de l'équipement militaire. En outre, le Rwanda assure la formation des combattants, la logistique, soutient le groupe politiquement et financièrement, et envoie également ses propres troupes combattre aux côtés du M23.
Le nom du groupe terroriste M23 remonte au 23 mars 2009, date à laquelle un accord de paix a été signé entre le Congo et le Rwanda. Avant cet accord, le groupe s’appelait « Congrès national pour la défense du peuple » (CNDP). Il a reproché à la République Démocratique du Congo de ne pas avoir respecté l’accord de paix et s’est ensuite rebaptisé «Mouvement du 23 mars», abrégé en M23.

Relations économiques entre le Luxembourg et le Rwanda
Lors de son discours à la Chambre, Xavier Bettel a tenté de détourner l’attention des violations des droits de l’homme. Il a souligné que « l'affaire avait pris de l'ampleur » parce que le Rwanda « avait des activités économiques avec le Luxembourg ». Or, le Rwanda serait seulement « notre 154e partenaire commercial ». Le ministre des Affaires étrangères luxembourgeois a également déclaré que tout cela avait commencé «parce que quelqu'un avait diffusé une nouvelle» et qu'il se réjouirait que l'on se base sur les faits.
Quels sont donc les faits? Les combats entre le groupe terroriste M23 et les forces armées rwandaises dans l’est du Congo concernent le contrôle des ressources minières. La province congolaise du Nord-Kivu regorge d’or, de coltan, de cassitérite, de cobalt et de diamants.
Alors que l’or et les diamants sont bien connus, le coltan est un minerai contenant du tantale et du niobium. Le tantale est utilisé dans l’industrie électronique, tandis que le niobium est utilisé pour des alliages spéciaux dans l’industrie sidérurgique. La cassitérite, un autre minerai, est utilisée pour produire de l’étain, qui joue un rôle dans les industries électroniques et de l’emballage. Le cobalt, un métal stratégiquement important, est utilisé dans les batteries pour voitures électriques, dans l’industrie aéronautique et dans l’électronique.
En février, le groupe terroriste M23, avec l’aide de troupes rwandaises, a pris par la force une série de mines importantes d’or, de coltan, de cassitérite, de cobalt et de diamants. La vente de ces ressources naturelles finance les activités du groupe terroriste. Ces ventes sont effectuées via le Rwanda, qui introduit ces matières premières sur le marché international.
Et quel est le lien avec le Luxembourg ?
Les relations entre le Luxembourg et le Rwanda ont été renforcées sous l’ancien gouvernement bleu-rouge-vert (libéraux, socialistes et écolos). L’ancien Premier ministre Xavier Bettel (parti libéral DP) et le ministre de la Coopération Franz Fayot (LSAP, socialistes) se sont rendus plusieurs fois, ensemble ou séparément, au Rwanda.
En juin 2022, une délégation luxembourgeoise a passé 10 jours (du 6 au 16 juin 2022) au Rwanda pour participer, à Kigali, à la Conférence mondiale sur le développement des télécommunications. Cette conférence s’est tenue à l’hôtel Onomo, géré par la société d’investissement luxembourgeoise Batipart, qui est principalement active dans le secteur du tourisme (par exemple Club Med, Pierre & Vacances, Center Parcs, Parc Oméga, chaîne hôtelière Onomo).
Lors de son discours, le ministre de la Coopération, Franz Fayot, a parlé d’une «nouvelle génération de coopération». Luc Frieden, actuellement Premier ministre (CSV, parti chrétien-social) a également joué un rôle clé dans les relations avec la République du Rwanda. En tant que président de la Chambre de commerce, il a organisé, en juin 2019, un voyage d’une délégation de 15 entreprises luxembourgeoises au Rwanda pour préparer le terrain à de futures activités commerciales.
Dès le départ, il était clair que les activités luxembourgeoises au Rwanda relevaient davantage du domaine des affaires que de l’aide au développement. Sur les quelque 400 millions d’euros alloués à l’aide au développement, seuls 8,5 millions transitent par LuxDev (Luxembourg Development Agency) pour des projets au Rwanda. En 2022, LuxDev a annoncé l’ouverture d’un bureau permanent dans la capitale rwandaise, Kigali, employant 19 personnes.

Une aide au développement privatisée
Jusqu’en 1992, Lux-Development était une agence d’aide au développement étatique sous l’autorité du ministère des Affaires étrangères. En 1992, l’agence a été transformée en une société anonyme. Les sociétés anonymes visent généralement la maximisation des profits, la compétitivité et l’expansion des parts de marché – c’est dans leur nature. Sinon, ce ne seraient pas des sociétés commerciales, mais des organisations à but non lucratif.
Cette logique ressort également d’un rapport de Lux-Dev intitulé «Support to the Development of Kigali International Finance Center» publié en 2024, où dans le chapitre «Expected Changes/Results», on peut lire : «approfondissement des liens financiers et commerciaux entre le Rwanda et le Luxembourg». En d'autres termes, l'aide au développement n'est pas motivée par la charité, mais par une intention stratégique. Elle doit être rentable – surtout pour le secteur financier luxembourgeois.
Dès 2021, l’ancien ministre luxembourgeois de la Coopération, le socialiste Franz Fayot, avait signé un accord bilatéral avec le ministre rwandais des Finances. L'objectif est de faire du Rwanda le centre financier le plus important du continent africain – une étape qui renforce le soupçon que l'aide au développement luxembourgeoise est orientée vers le profit.
La place financière luxembourgeois profite de cet accord, car les banques luxembourgeoises peuvent investir directement dans des projets et entreprises au Rwanda, ce qui génère des bénéfices. En outre, les banques peuvent offrir des services et du conseil au Rwanda, tandis que l’industrie des fonds bénéficie de l’accord lorsque les relations commerciales entre le Luxembourg et le Rwanda se développent. L'objectif du gouvernement luxembourgeois est clair : avec une présence renforcée en Afrique, il souhaite accroître son influence sur le continent.

Un accord européen avec une intention stratégique
En février de l'année dernière, un accord supplémentaire entre l'UE et le Rwanda a été signé. Cet accord garantit à l'UE, dans le cadre de sa stratégie «Global Gateway», l'accès à des matières premières stratégiques telles que les terres rares, le tantale, l'étain, le tungstène, l'or, le niobium et le lithium. Cela vise à réduire la dépendance de l'UE vis-à-vis des matières premières chinoises.
Parallèlement à l'exploitation des ressources naturelles, le Luxembourg s'assure qu'un centre financier solide se développe au Rwanda. Cela permet un commerce rapide et efficace des minerais convoités – une véritable symbiose pratique. Les critiques, qui reprochent aux États-Unis et à l'Ukraine un néocolonialisme, pourraient se demander si cet accord entre l'UE et le Rwanda n'est pas aussi un exemple parfait de néocolonialisme.
Le rôle du Luxembourg dans ce processus est même explicitement souligné sur le site officiel de l'UE.
Les profits avant les droits humains
La cerise sur le gâteau est l'accord sur la double imposition signé entre le Luxembourg et le Rwanda le 29 septembre 2021. Cet accord a été signé par l'ancien ministre libéral des Finances, Pierre Gramegna – seulement deux mois avant qu'il n'annonce sa démission du gouvernement. L'accord fiscal avec le Rwanda a été expressément salué par la Chambre de Commerce du Luxembourg.
Avec de tels accords, les contribuables sont protégés contre une double imposition, ce qui ouvre la voie à des investissements plus importants. De cette manière, le centre financier de Kigali peut être développé sans obstacles, avec l'aide du Luxembourg, comme plaque tournante financière en Afrique.
Même si le ministre des Affaires étrangères Bettel a déclaré à la Chambre le 4 mars que le Rwanda n'était que le «154e partenaire commercial du Luxembourg», il sait pertinemment que cela ne restera pas ainsi. Il est familier avec les projets d'expansion du centre financier, car il les a soutenus en tant que Premier ministre pendant deux mandats législatifs. De possibles sanctions contre le Rwanda pourraient entraver ces plans.
La rhétorique sur les droits de l'homme et la démocratie est souvent rien d'autre que de belles paroles. L'exemple du Rwanda montre que les intérêts stratégiques et les objectifs économiques dictent les actions – et que les sanctions sont perçues davantage comme un obstacle que comme une solution.

Une réflexion personnelle
Alors que le conflit dans l'est du Congo continue de soulever des questions complexes sur la justice et la paix, pour moi, il représente bien plus qu'un simple sujet géopolitique. Il fait partie de l'héritage qui a façonné ma famille et constitue un chapitre qui influence non seulement l'avenir du Congo, mais aussi ma compréhension de ma propre identité.
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